Guillaume Apollinaire - La Loreley

Publié le : 16/06/2024

À Bacharach il y avait une sorcière blonde Qui laissait mourir d’amour tous les hommes à la ronde Devant son tribunal l’évêque la fit citer D’avance il l’absolvit à cause de sa beauté Ô belle Loreley aux yeux pleins de pierreries De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits Ceux qui m’ont regardé évêque en ont péri Mes yeux ce sont des flammes et non des pierreries Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie Je flambe dans ces flammes ô belle Loreley Qu’un autre te condamne tu m’as ensorcelé Évêque vous riez Priez plutôt pour moi la Vierge Faites-moi donc mourir et que Dieu vous protège Mon amant est parti pour un pays lointain Faites-moi donc mourir puisque je n’aime rien Mon cœur me fait si mal il faut bien que je meure Si je me regardais il faudrait que j’en meure Mon cœur me fait si mal depuis qu’il n’est plus là Mon cœur me fit si mal du jour où il s’en alla L’évêque fit venir trois chevaliers avec leurs lances Menez jusqu’au couvent cette femme en démence Va-t’en Lore en folie va Lore aux yeux tremblants Tu seras une nonne vêtue de noir et blanc Puis ils s’en allèrent sur la route tous les quatre La Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des astres Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si haut Pour voir une fois encore mon beau château Pour me mirer une fois encore dans le fleuve Puis j’irai au couvent des vierges et des veuves Là-haut le vent tordait ses cheveux déroulés Les chevaliers criaient Loreley Loreley Tout là-bas sur le Rhin s’en vient une nacelle Et mon amant s’y tient il m’a vue il m’appelle Mon cœur devient si doux c’est mon amant qui vient Elle se penche alors et tombe dans le Rhin Pour avoir vu dans l’eau la belle Loreley Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil Guillaume Apollinaire, Rhénanes, Alcools, 1913

Arthur Rimbaud - Chanson de la plus haute tour

Publié le : 13/06/2024

Oisive jeunesse A tout asservie, Par délicatesse J’ai perdu ma vie. Ah ! Que le temps vienne Où les cœurs s’éprennent. Je me suis dit : laisse, Et qu’on ne te voie : Et sans la promesse De plus hautes joies. Que rien ne t’arrête, Auguste retraite. J’ai tant fait patience Qu’à jamais j’oublie ; Craintes et souffrances Aux cieux sont parties. Et la soif malsaine Obscurcit mes veines. Ainsi la prairie A l’oubli livrée, Grandie, et fleurie D’encens et d’ivraies Au bourdon farouche De cent sales mouches. Ah ! Mille veuvages De la si pauvre âme Qui n’a que l’image De la Notre-Dame ! Est-ce que l’on prie La Vierge Marie ? Oisive jeunesse A tout asservie, Par délicatesse J’ai perdu ma vie. Ah ! Que le temps vienne Où les cœurs s’éprennent !

Léon Dierx - L'image

Publié le : 08/06/2024

La terre dans le ciel promène Sa face où vit l'humanité. La terre va ; la vie humaine Ronge son crâne tourmenté. Les hommes courent à leurs quêtes Sur la terre, ardents et pressés ; Comme aux vieux masques des coquettes S'obstinent les anciens pensers. La terre est vieille et décrépite, Et rêve encor, spectre blafard ; La terre croit qu'un coeur palpite Entre ses os couverts de fard. Chaque jour, de son front par masse Tombent son plâtre et ses cheveux. La vie imbécile grimace, S'enivrant des plus doux aveux. Et quand revient le crépuscule Traînant la nuit, parfait miroir, Jamais sous l'horreur ne recule La terre qui ne veut pas voir ! - Le temps d'un bras robuste enserre Ta carcasse, et la fait craquer ! Regarde enfin d'un oeil sincère Là-haut ton corps se décalquer ! C'est trop longtemps te rendre hommage Sous ton reflet morne et hideux. Reconnais-toi dans ton image ; Confrontez-vous toutes les deux : O terre lasse ! ô lune inerte ! Foyer mourant ! Cendre des morts ! Toi, que partout l'espoir déserte ! Toi, qui n'as plus même un remords !

Victor Hugo - Demain dès L'aube

Publié le : 03/06/2024

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. J'irai par la forêt, j'irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Paul Verlaine - Mon rêve familier

Publié le : 12/05/2024

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime, Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend. Car elle me comprend, et mon coeur transparent Pour elle seule, hélas! cesse d’être un problème Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême, Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant. Est-elle brune, blonde ou rousse? Je l’ignore. Son nom? Je me souviens qu’il est doux et sonore, Comme ceux des aimés que la vie exila. Son regard est pareil au regard des statues, Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a L’inflexion des voix chères qui se sont tues.

Paul Verlaine - Ecoutez la chanson bien douce

Publié le : 09/05/2024

Ecoutez la chanson bien douce Qui ne pleure que pour vous plaire, Elle est discrète, elle est légère : Un frisson d'eau sur de la mousse ! La voix vous fut connue (et chère ?) Mais à présent elle est voilée Comme une veuve désolée, Pourtant comme elle encore fière, Et dans les longs plis de son voile, Qui palpite aux brises d'automne. Cache et montre au coeur qui s'étonne La vérité comme une étoile. Elle dit, la voix reconnue, Que la bonté c'est notre vie, Que de la haine et de l'envie Rien ne reste, la mort venue. Elle parle aussi de la gloire D'être simple sans plus attendre, Et de noces d'or et du tendre Bonheur d'une paix sans victoire. Accueillez la voix qui persiste Dans son naïf épithalame. Allez, rien n'est meilleur à l'âme Que de faire une âme moins triste ! Elle est en peine et de passage, L'âme qui souffre sans colère, Et comme sa morale est claire !... Ecoutez la chanson bien sage.

Charles Baudelaire - L'invitation au voyage

Publié le : 28/04/2024

Mon enfant, ma sœur, Songe à la douceur D’aller là-bas vivre ensemble ! Aimer à loisir, Aimer et mourir Au pays qui te ressemble ! Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont les charmes Si mystérieux De tes traîtres yeux, Brillant à travers leurs larmes. Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. Des meubles luisants, Polis par les ans, Décoreraient notre chambre ; Les plus rares fleurs Mêlant leurs odeurs Aux vagues senteurs de l’ambre, Les riches plafonds, Les miroirs profonds, La splendeur orientale, Tout y parlerait À l’âme en secret Sa douce langue natale. Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. Vois sur ces canaux Dormir ces vaisseaux Dont l’humeur est vagabonde ; C’est pour assouvir Ton moindre désir Qu’ils viennent du bout du monde. – Les soleils couchants Revêtent les champs, Les canaux, la ville entière, D’hyacinthe et d’or ; Le monde s’endort Dans une chaude lumière. Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.

Marceline Desbordes-Valmore - L'oreiller d'un enfant

Publié le : 19/04/2024

Cher petit oreiller, doux et chaud sous ma tête, Plein de plume choisie, et blanc ! et fait pour moi ! Quand on a peur du vent, des loups, de la tempête, Cher petit oreiller, que je dors bien sur toi ! Beaucoup, beaucoup d'enfants pauvres et nus, sans mère, Sans maison, n'ont jamais d'oreiller pour dormir ; Ils ont toujours sommeil. Ô destinée amère ! Maman ! douce maman ! cela me fait gémir.

Jean Moréas - Ne dites pas...

Publié le : 14/04/2024

Ne dites pas : la vie est un joyeux festin ; Ou c'est d'un esprit sot ou c'est d'une âme basse. Surtout ne dites point : elle est malheur sans fin ; C'est d'un mauvais courage et qui trop tôt se lasse. Riez comme au printemps s'agitent les rameaux, Pleurez comme la bise ou le flot sur la grève, Goûtez tous les plaisirs et souffrez tous les maux ; Et dites : c'est beaucoup et c'est l'ombre d'un rêve.

Victor Hugo - Jeanne

Publié le : 05/04/2024

Je ne me mets pas en peine Du clocher ni du beffroi ; Je ne sais rien de la reine, Et je ne sais rien du roi ; J'ignore, je le confesse, Si le seigneur est hautain, Si le curé dit la messe En grec ou bien en latin ; S'il faut qu'on pleure ou qu'on danse, Si les nids jasent entr'eux ; Mais sais-tu ce que je pense ? C'est que je suis amoureux. Sais-tu, Jeanne, à quoi je rêve ? C'est au mouvement d'oiseau De ton pied blanc qui se lève Quand tu passes le ruisseau. Et sais-tu ce qui me gêne ? C'est qu'à travers l'horizon, Jeanne, une invisible chaîne Me tire vers ta maison. Et sais-tu ce qui m'ennuie ? C'est l'air charmant et vainqueur, Jeanne, dont tu fais la pluie |Et le beau temps dans mon coeur. Et sais-tu ce qui m'occupe, Jeanne ? c'est que j'aime mieux La moindre fleur de ta jupe Que tous les astres des cieux.]
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