Charles Baudelaire - Correspondances
Publié le : 31/08/2025
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.
Marceline Desbordes-Valmore - La danse de nuit - 1860
Publié le : 11/08/2025
Ah, la danse ! La danse
Qui fait battre le coeur,
C'est la vie en cadence
Enlacée au bonheur.
Accourez, le temps vole,
Saluez s'il-vous-plaît,
L'orchestre a la parole
Et le bal est complet.
Sous la lune étoilée
Quand brunissent les bois
Chaque fête étoilée
Jette lumières et voix.
Les fleurs plus embaumées
Rêvent qu'il fait soleil
Et nous, plus animées
Nous n'avons pas sommeil.
Flammes et musique en tête
Enfants ouvrez les yeux
Et frappez à la fête
Vos petits pieds joyeux.
Ne renvoyez personne !
Tout passant dansera
Et bouquets ou couronne
Tout danseur choisira.
Sous la nuit et ses voiles
Que nous illuminons
Comme un cercle d'étoiles,
Tournons en choeur, tournons.
Ah, la danse ! La danse
Qui fait battre le coeur,
C'est la vie en cadence
Enlacée au bonheur.
À découvrir sur le site https://www.poesie-francaise.fr/marceline-desbordes-valmore/poeme-la-danse-de-nuit.php
Constance de Théis - Epître aux femmes
Publié le : 05/07/2025
Ô femmes, c'est pour vous que j'accorde ma lyre ;
Ô femmes, c'est pour vous qu'en mon brûlant délire,
D'un usage orgueilleux, bravant les vains efforts,
Je laisse enfin ma voix exprimer mes transports.
Assez et trop longtemps la honteuse ignorance
A jusqu'en vos vieux jours prolongé votre enfance ;
Assez et trop longtemps les hommes, égarés,
Ont craint de voir en vous des censeurs éclairés ;
Les temps sont arrivés, la raison vous appelle :
Femmes éveillez-vous et soyez dignes d'elle.
Si la nature a fait deux sexes différents,
Elle a changé la forme, et non les éléments.
Même loi, même erreur, même ivresse les guide ;
L'un et l'autre propose, exécute ou décide ;
Les charges, les pouvoirs entre eux deux divisés,
Par un ordre immuable y restent balancés.[...]
Mais déjà mille voix ont blâmé notre audace ;
On s'étonne, on murmure, on s'agite, on menace ;
On veut nous arracher la plume et le pinceau ;
Chacun a contre nous sa chanson, ses bons mots ;
L'un, ignorant et sot, vient, avec ironie,
Nous citer de Molière un vers qu'il estropie ;
L'autre, vain par système et jaloux par métier,
Dit d'un air dédaigneux : Elle a son teinturier.
De jeunes gens à peine échappés au collège
Discutent hardiment nos droits, leur privilège ;
Et les arrêts dictés par la fatuité,
La mode, l'ignorance, et la futilité,
Répétés en écho par ces juges imberbes,
Après deux ou trois jours sont passés en proverbes.
En vain l'homme de bien (car il en est toujours)
En vain l'homme de bien vient à notre secours,
Leur prouve de nos coeurs la force, le courage,
Leur montre nos lauriers conservés d'âge en âge,
Leur dit qu'on peut unir grâces, talents, vertus ;
Que Minerve était femme aussi bien que Vénus ;
Rien ne peut ramener cette foule en délire ;
L'honnête homme se tait, nous regarde et soupire.
Mais, ô dieux, qu'il soupire et qu'il gémit bien plus
Quand il voit les effets de ce cruel abus ;
Quand il voit le besoin de distraire nos âmes
Se porter, malgré nous, sur de coupables flammes !
Quand il voit ces transports que réclamaient les arts
Dans un monde pervers offenser ses regards,
Et sur un front terni la licence funeste
Remplacer les lauriers du mérite modeste !
Ah ! détournons les yeux de cet affreux tableau !
Ô femmes, reprenez la plume et le pinceau.
Laissez le moraliste, employant le sophisme,
Autoriser en vain l'effort du despotisme ;
Laissez-le, tourmentant des mots insidieux,
Dégrader notre sexe et vanter nos beaux yeux ;
Laissons l'anatomiste, aveugle en sa science,
D'une fibre avec art calculer la puissance,
Et du plus et du moins inférer sans appel
Que sa femme lui doit un respect éternel.
La nature a des droits qu'il ignore lui-même :
On ne la courbe pas sous le poids d'un système ;
Aux mains de la faiblesse elle met la valeur ;
Sur le front du superbe, elle écrit la terreur ;
Et, dédaignant les mots de sexe et d'apparence,
Pèse dans sa grandeur les dons qu'elle dispense. [...]
Arthur Rimbaud - Ma Bohême
Publié le : 29/06/2025
Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !
Mon unique culotte avait un large trou.
– Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
– Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur !
Jean-Baptiste Clément - Les traîne-misère
Publié le : 14/06/2025
Les gens qui traînent la misère
Sont doux comme de vrais agneaux ;
Ils sont parqués sur cette terre
Et menés comme des troupeaux.
Et tout ça souffre et tout ça danse
Pour se donner de l’espérance !
Pourtant les gens à pâle mine
Ont bon courage et bonnes dents,
Grand appétit, grande poitrine,
Mais rien à se mettre dedans.
Et tout ça jeûne et tout ça danse
Pour se donner de l’abstinence !
Pourtant ces pauvres traîne-guêtres
Sont nombreux comme les fourmis ;
Ils pourraient bien être les maîtres,
Et ce sont eux les plus soumis.
Et tout ça trime, et tout ça danse
Pour s’engourdir dans l’indolence !
Ils n’ont même pas une pierre,
Pas un centime à protéger !
Ils n’ont pour eux que leur misère
Et leurs deux yeux pour en pleurer.
Et tout ça court et tout ça danse
Pour un beau jour sauver la France !
Du grand matin à la nuit noire
Ça travaille des quarante ans ;
À l’hôpital finit l’histoire
Et c’est au tour de leurs enfants.
Et tout ça chante et tout ça danse
En attendant la providence !
En avant deux ! Ô vous qu’on nomme
Chair-à-canon et sac-à-vin
Va-nu-pieds et bête de somme,
Traîne-misère et meurt-de-faim
En avant deux et que tout danse
Pour équilibrer la balance !
Londres, 1874
Jeanne Loiseau - La vie
Publié le : 10/06/2025
Quand nous tournons les yeux vers les débuts du monde,
Songeant aux êtres vils qui peuplèrent les eaux,
Nous disons: «Dieu frappa plus d'une race immonde,
Puis il fit naître l'homme après les grands oiseaux.»
Et plus tard, entr'ouvrant quelque couche profonde,
Et trouvant dans le sol les débris de nos os,
Un enfant plus parfait de la terre féconde
Reniera notre sang, notre âme et nos travaux.
Pourtant nous sommes fils des monstres de l'abîme,
Et d'héritiers plus purs l'Humanité victime
A son tour périra pour leur donner le jour.
La route du progrès pas à pas est suivie.
Dans l'univers, ainsi qu'en notre étroit séjour,
S'enchaînent sans repos les formes de la vie.
Jeanne Loiseau
(Daniel Lesueur)
Alphonse de Lamartine - Le Papillon
Publié le : 18/05/2025
Naître avec le printemps, mourir avec les roses,
Sur l’aile du zéphyr nager dans un ciel pur,
Balancé sur le sein des fleurs à peine écloses,
S’enivrer de parfums, de lumière et d’azur,
Secouant, jeune encor, la poudre de ses ailes,
S’envoler comme un souffle aux voûtes éternelles,
Voilà du papillon le destin enchanté!
Il ressemble au désir, qui jamais ne se pose,
Et sans se satisfaire, effleurant toute chose,
Retourne enfin au ciel chercher la volupté!
Alphonse de Lamartine, Nouvelles méditations poétiques
André Breton - Plutôt la vie
Publié le : 14/05/2025
Plutôt la vie
Plutôt la vie que ces prismes sans épaisseur même si les couleurs sont plus pures
Plutôt que cette heure toujours couverte que ces terribles voitures de flammes froides
Que ces pierres blettes
Plutôt ce coeur à cran d'arrêt
Que cette mare aux murmures
Et que cette étoffe blanche qui chante à la fois dans l'air et dans la terre
Que cette bénédiction nuptiale qui joint mon front à celui de la vanité totale
Plutôt la vie
Plutôt la vie avec ses draps conjuratoires
Ses cicatrices d'évasions
Plutôt la vie plutôt cette rosace sur ma tombe
La vie de la présence rien que de la présence
Où une voix dit Es-tu là où une autre répond Es-tu là
Je n'y suis guère hélas
Et pourtant quand nous ferions le jeu de ce que nous faisons mourir
Plutôt la vie
Plutôt la vie plutôt la vie Enfance vénérable
Le ruban qui part d'un fakir
Ressemble à la glissière du monde
Le soleil a beau n'être qu'une épave
Pour peu que le corps de la femme lui ressemble
Tu songes en contemplant la trajectoire tout du long
Ou seulement en fermant les yeux sur l'orage adorable qui a nom ta main
Plutôt la vie
Jean Richepin - La Ballade du Roi des Gueux
Publié le : 10/05/2025
Venez à moi, claquepatins,
Loqueteux, joueurs de musettes,
Clampins, loupeurs, voyous, catins,
Et marmousets, et marmousettes,
Tas de traîne-cul-les-housettes,
Race d'indépendants fougueux !
Je suis du pays dont vous êtes :
Le poète est le Roi des Gueux.
Vous que la bise des matins,
Que la pluie aux âpres sagettes,
Que les gendarmes, les mâtins,
Les coups, les fièvres, les disettes
Prennent toujours pour amusettes,
Vous dont l'habit mince et fongueux
Paraît fait de vieilles gazettes,
Le poète est le Roi des Gueux.
Vous que le chaud soleil a teints,
Hurlubiers dont les peau bisettes
Ressemblent à l'or des gratins,
Gouges au front plein de frisettes,
Momignards nus sans chemisettes,
Vieux à l'oeil cave, au nez rugueux,
Au menton en casse-noisettes,
Le poète est le Roi des Gueux.
ENVOI
Ô Gueux, mes sujets, mes sujettes,
Je serai votre maître queux.
Tu vivras, monde qui végètes !
Le poète est le Roi des Gueux.
Victor Hugo - L'amour
Publié le : 03/05/2025
Aimons toujours ! Aimons encore !
Quand l’amour s’en va, l’espoir fuit.
L’amour, c’est le cri de l’aurore,
L’amour c’est l’hymne de la nuit.
Ce que le flot dit aux rivages,
Ce que le vent dit aux vieux monts,
Ce que l’astre dit aux nuages,
C’est le mot ineffable : Aimons !
L’amour fait songer, vivre et croire.
Il a pour réchauffer le coeur,
Un rayon de plus que la gloire,
Et ce rayon c’est le bonheur !
Aime ! qu’on les loue ou les blâme,
Toujours les grand coeurs aimeront :
Joins cette jeunesse de l’âme
A la jeunesse de ton front !
Aime, afin de charmer tes heures !
Afin qu’on voie en tes beaux yeux
Des voluptés intérieures
Le sourire mystérieux !
(...)